Généalogie du graphe dans le séminaire « Le désir et son interprétation »
Choula Emerich, Marseille, 17 octobre 2006
Il m’a semblé intéressant de reprendre la généalogie du graphe de la dialectique du désir pour plusieurs raisons.
Tout d’abord parce qu’il est toujours passionnant de repérer la naissance d’un concept, ici d’un mathème.
Le graphe est un mathème de la psychanalyse dans ses articulations avec la théorie analytique alors existante, tant au niveau des idées que dans les effets produits sur la direction de la cure.
C’est donc dans le séminaire « les formations de l’inconscient » que je suis allée regarder de plus près pour y trouver le graphe dans sa première écriture.
C’est dans ce séminaire que LACAN articule pour la première fois d’une façon radicale, et je dirais presque pédagogique, les questions de la demande et du désir dans leur rapport au signifiant.
Dans cette démarche et pour rendre compte de la clinique, puisque notre expérience est un fait de langage, il va chercher dans la linguistique ce qui va lui permettre de formaliser ce qu’il entend. Ce seront ses premiers pas de linguisterie, et l’introduction dans la clinique analytique des termes de signifiant, de signifié, de synchronie, de diachronie. Mais il ne vas pas coller à l’expérience saussurienne qui fait du signifiant une image acoustique, du signifié, un concept.
Il va, conformément aux acquis de son séminaire sur les psychoses entre autres, il va affirmer la primauté du signifiant sur le signifié et avancer la nécessité des points de capiton pour arrimer un sujet dans la langue, pour soutenir ou pas, que du sujet, il y a trace. Nous pouvons entendre ici, le premier forçage que LACAN impose à la linguistique, en donnant au champ du symbolique un prévalence par rapport au sens, au champ de l’imaginaire. C’est probablement une des raisons qui lui ont valu l’épinglage d’être un structuraliste.
Un autre point qui me paraît essentiel, dont LACAN rend compte dans cette généalogie du graphe et qu’il tiendra pour acquis dans le séminaire « le désir et son interprétation », c’est la question de la spaltung, de la division subjective, dans son rapport à la demande et au désir.
Spaltung dont nous pouvons dire qu’à cette époque, c’est en quoi consiste l ’émergence du sujet moderne de la psychanalyse.
Spaltung qu’il va faire passer d’abord entre le sujet et l’autre réel (la mère) avant de l’instaurer dans le rapport même du sujet au signifiant, dans la refente que le sujet subit de sa subordination au signifiant.
Sur ces questions de la demande et du désir, nous allons pouvoir nous attarder et je vous livre les quelques phrases qui précèdent l’avancée de LACAN sur ces points.
LACAN nous dit, dans la leçon du 23 Avril 58 dans le séminaire « les formations de l’inconscient » que « le sujet s’identifie, faute de satisfaction, au sujet (l’autre réel) qui fait accéder à la demande. Autant d’identifications dit-il que de demandes insatisfaites. Autant d’identifications qu’il y a d’Autres qui se posent en présence du sujet comme celui qui répond ou ne répond pas à la demande. C’est la clé de cette distance, de cette spaltung (entre la demande d’un sujet et qu’un Autre y réponde ou pas) qui se trouve ici reflétée par la construction de ce petit schéma que je vous mets aujourd’hui pour la première fois au tableau. »
Nous voilà introduits par la question de la demande et des identifications qu’elle conditionne, à ce petit schéma qui ne fera pas long feu puisqu’il s’agit ici de la première écriture du graphe que LACAN nous propose et qui se présente sur trois lignes:
les impossibilités
(I d ——> S <> autre ——–> i (a) <——– m le moi dans son rapport avec ses <——- objets I
signifié par le signifiant, les insignes
(II D ——> A<> d ——-> s(A) <——– I Image du moi
<——-
le désir du sujet passe par
une demande articulée
(III ( ——-> S <> D ——-> S (A) <——- ( C’est le ( qui introduit la barre
( <——- ( sur A
le ressort du signifiant ( qui introduit le signifiant manquant
( le signifiant du manque dans l’Autre
(
traduisent pour un sujet les différents points de butée, les impossibilités, pas de passage direct d’un bout à l’autre de chaque ligne:
– pas de passage direct entre le désir et l’identification narcissique
– pas de passage direct entre la demande et l’image du moi
– pas de passage direct entre le ressort du rapport du sujet au signifiant et le (.
Il est intéressant de noter que ces impossibilités relèvent de l’hétérogénéité entre 2 champs.
I/ Le désir, articulation signifiante, le sujet
Le moi, L’imaginaire, pas de continuité de recouvrement
II/ demande (I) ( I du M (S)
(
III/ ( ( R ) ( ( (S)
(
Dans ce ( il s’agit là non du rapport du S au signifiant, qui serait une référence à un ordre symbolique, mais de ce qui fait le ressort même du rapport du sujet au signifiant, ce qui implique la catégorie du Réel, dans ce que nous avons coutume aujourd’hui d’appeler la métaphore paternelle.
Ces formules nous dit LACAN, suffisent à expliciter toutes les divagations, y compris celles que nous rencontrons dans l’analyse, concernant notre problème fondamental, qui est le problème du désir.
Commençons par un premier commentaire du schéma, avant d’en faire une lecture ligne à ligne, plus approfondi.
La première ligne concerne l’isolement du désir (d) au regard de l’identification narcissique i(a) et ceci par le biais de la relation du sujet S à l’objet qui est pour lui son semblable a.
C’est, je crois, la première écriture du fantasme, S <> a, mais notons qu’il s’agit là, première différence avec l ’écriture du graphe abouti, du petit autre, du semblable et non de l’objet cause de désir, l’objet a, tel que LACAN l’isolera plus tard dans son séminaire sur l’Angoisse en 62-63.
La deuxième ligne concerne la demande D: repérons pour la clarté de l’écriture que le grand D est ici la demande, et non pas l’écriture de la pulsion comme il le deviendra dans le graphe achevé. LACAN va faire un grand détour pour expliciter comment les signifiants de cette demande passant pourtant par une chaîne signifiante articulée et adressée à l’Autre, n’ont pas encore le statut achevé de ce qu’est pour lui un signifiant. Nous y reviendrons. Il situe à ce deuxième niveau, le rapport fondamental du désir non pas avec le signifiant mais avec la parole. C’est une illustration de la demande dans les rapports du trait d’esprit avec la parole, en tant que le désir y est impliqué également. Mais il s’y agit là d’un mot d’esprit qui serait plutôt inhérent à la structure même de la langue. En voici un exemple.
Il s’agit du jeune poète E. HEINE, qui ne s’est pas encore imposé dans la littérature, qui va voir son oncle Rotschild pour lui demander de l’aider afin qu’il puisse poursuivre ses études, car il est sans le sou. Et voici comment de retour chez lui, il raconte son entrevue à son ami: « Rotschild m’a reçu, à sa table, et d’une façon tout à fait famillionnaire ».
Néologisme d’un,
il m’a reçu comme un familier, comme quelqu’un de la famille
et
il m’a reçu comme un millionnaire
Nouage ici de la demande et du désir dans un jeu de mots.
La troisième ligne (, tente d’expliciter le rapport du sujet humain au signifiant. C’est par le biais de sa demande en tant qu’elle parle son désir, que le sujet va se trouver dans un certain rapport au ( et aux signifiants de l’Autre, mais surtout au signifiant du manque dans l’Autre S(A).
C’est seulement dans le troisième temps de ces formules que nous nous trouvons face au signifiant tel que LACAN le définit après FREUD, soit le signifiant inconscient, qui soutient la demande d’un sujet en tant que l’au-delà visé par lui est non pas la satisfaction d’un besoin mais l’articulation d’un désir. Ajoutons qu’ici, le désir est articulé, pour autant qu’il est lié à la présence du signifiant pour un sujet, que le sujet y réagisse à un signifiant et non pas à un signe ou à une signification, c’est-à-dire, pour autant que la métaphore paternelle l’aura introduit comme sujet. Mais ce que ceci implique également et dans chaque cas particulier, c’est que même si le désir est articulé, il n’est pas pleinement articulable, puisque le signifiant ne peut tout se dire, du fait d’être frappé structuralement par ce manque qui l’inaugure comme signifiant et comme sujet.
Nous reviendrons plus en détail sur la fonction que LACAN donne au ( dans ce troisième temps.
Parce que LACAN ne nous a pas habitués à considérer l’évolution d’un sujet dans une chronologie temporaire, retenons qu’il spécifie ici, les trois temps comme nécessaires, et comme ceux d’une maturation génitale qui ne se caractérise ni par le don ni par l’oblativité, mais par l’intervention, à un certain moment et pour un sujet, d’un désir en relation avec les identifications narcissiques, avec le rapport à la langue (par la D), avec le rapport au signifiant (par le ().
Illustrons le:
La première étape de ce que sera ce désir consiste en la réponse donnée ou pas par l’autre, à la détresse absolue du nourrisson qui entraînera pour lui l’identification à l’image du semblable qui pourvoit à ses besoins vitaux.
C’est la première identification narcissique, archaïque, où l’enfant construit son moi sur le modèle de cet autre qui le supporte, qui le maintient en vie mais aussi en captivité. C’est le temps des pleurs, des besoins, et le pleur n’y est pas là encore, adresse à l’autre.
Le deuxième temps est celui, de l’articulé, de l’articulable par le langage. C’est celui où, une demande, effectivement énoncée est adressée à l’Autre, dans une dialectique duelle prégénitale, où l’Autre est incarné, il s’y agit de l’Autre réel, la mère le plus souvent. Prégénitale pour LACAN, c’est-à-dire avant que fonctionne pour un sujet « die bedeutung das phallus ». Le terme en sera pour le sujet, à travers les différentes identifications symboliques qu’imposent la satisfaction et la frustration, la présence et l’absence, d’accéder à une absence symbolique qui vaudra pour lui comme présence. C’est le temps inauguré par le fort-da où le rejet de la bobine viendra à signifier le retour de la mère.
C’est le temps de l’appel, du rire, c’est le temps de la parole comme discours courant et l’Autre y est pur lieu de code, non barré, tout puisant.
Temps que LACAN stigmatise d’être le temps de la gueule ouverte de l’Autre, du Surmoi archaïque et obscène. LACAN nous donne à propos du temps de la demande une indication clinique de très grande portée: il reprend l’observation de FREUD d’Elisabeth Von R. dont il rappelle la symptomatologie d’une paralysie des 2 jambes qui aurait débuté durant le temps où elle s’occupait avec dévotion de son père gravement malade et alité depuis très longtemps. Paralysie que FREUD interprète comme un désir inconscient qu’Elisabeth Von R. aurait eu concernant un de ses beaux frères et pouvant se déchiffrer comme un « ne bouge pas, n’y va pas », donnant la raison de sa paralysie bilatérale, mais que LACAN interprète d’une façon qui ne peut que retenir notre attention: c’est dans les soins qu’elle prodigue à son père malade, dans ce temps pour elle d’abnégation et de soumission où elle se trouve d’avoir à satisfaire entièrement à la demande de l’Autre, sous peine de la mort de son père.
C’est dans ce type de situation, celle d’avoir à satisfaire une demande sans au-delà, qu’Elisabeth Von R., se trouve confrontée à une situation structuralement hystérogène d’où sa paralysie. C’est-à-dire qu’à une demande, à elle adressée, s’impose pour elle une réponse qui recouvre exactement la demande formulée, sans que puisse exister la moindre place pour un au-delà de cette demande, ne fût-ce pour elle que dans une échappée fantasmatique et lui laissant accroire à une adéquation entre le mot et la chose, car ici la satisfaction de la demande ne peut exister que dans l’écrasement du désir et si pas de désir, alors, à quoi bon marcher ?
Belle leçon de clinique.
Le troisième temps que repère le trajet de l’accès du sujet à son désir, c’est le temps où la réponse à sa demande est réglée par une autre instance que maternelle. C’est celle de la loi du père, et où les signifiants du sujet se trouvent pris dans un autre capitonnage que celui du lieu du code.
C’est celui que met en place pour lui ce temps troisième, de la castration S, en tant qu’elle est liée à la maturation du désir, chez le sujet humain. Désir qui n’est pas un besoin, désir qui n’est pas un appel même s’il peut en emprunter les voies signifiantes, désir qui n’est pas auto-érotique mais alloérotique et qui s’établit dans un rapport à la loi et à l’interdit qu’elle pose.
Force nous est de constater que ce premier repérage nous oblige à expliciter ce qui distingue structurellement pour un sujet, la demande et le désir, dans leur rapport au signifiant. Ce n’est sûrement pas un hasard si LACAN s’est attaché cette année là à opérer une distinction conceptuelle radicale entre le désir et la demande.
En effet, la confusion entre les deux avait amené dans le milieu analytique d’alors des problèmes cliniques dans la direction des cures en particulier les déviations qui consistaient à refouler le concept freudien de « recherche de plaisir », trop sexuel, au profit d’une plus convenable ego-psychologie de la « recherche de l’objet », mais dont la visée inconsciente était la tentative de réduire le désir à une économie du plaisir, en l ’évidant de son rapport au signifiant. Il est d’ailleurs fort intéressant de constater que ces questions concernant la distinction entre besoin, demande et désir lui soient revenues à propos de la fin de l’analyse pour une femme, et qui consistaient à avancer qu’on n’aurait pas, cette analyse pour une femme, à la pousser trop loin car il pourrait advenir pour elle une régression dans son rapport à la jouissance. Conseil donc pour une direction de cure: quand une femme accède au plaisir, alors, surtout ne pas risquer d’aller au-delà. Elle pourrait le perdre, son plaisir et c’était une objection soutenue sérieusement par les tenants de « l’american way of life » et à laquelle LACAN ne répondit pas moins sérieusement en soutenant que l’analyse ne visait pas à une adaptation du sujet à la réalité et qu’il n’y avait pas à confondre, pour une femme, ce qu’elle désirait avec ce qu’elle demandait, ni ce qu’elle demandait, avec ce qu’elle voulait, au sens où l’on dit que ce que femme veut, Dieu le veut.
Alors, si nous nous en tenons encore à l’écriture de ces 3 formules, nous devons expliciter comment LACAN y implique la fonction du signifiant, dans chacune d’elles.
Soulignons tout d’abord, que le premier temps, celui où le sujet n’est que la proie de ses pleurs et de ses besoins, est un temps qui peut être extrêmement court. Il suffit d’observer un nouveau-né pour mesurer combien rapidement, sa prise dans le signifiant de l’autre réel, transforme ses pleurs en un appel, donc s’inscrit déjà sous le chef d’une demande, aussi archaïque soit-elle.
De même, si le troisième temps de maturation du désir est celui pour lequel fonctionne chez un sujet le capitonnage du nom du Père, la clinique nous enseigne que le champ de la psychose en est exclu, et peut pour un parlêtre ne jamais advenir. Et si ce temps troisième est également celui que la castration symbolique met en place pour un sujet, la névrose et l’ampleur de son champ est également là pour nous rappeler les différents modes d’évitement de l’assomption de la castration pour un sujet
Reste donc ce champ de la demande dans lequel le sujet aura à se situer doublement; à travers ce que LACAN appelle deux chaînes signifiantes:
– une chaîne au travers de laquelle la demande a à se faire jour. En cela, la demande est un articulé, actuellement, pour un sujet. De ce fait, elle a un en-deça, le besoin qui vise à une satisfaction immédiate.
– Mais cette première chaîne signifiante, propre au sujet en tant qu’elle est dite par des mots, comporte un redoublement: celle identifiable à la réponse de la mère. En cela, toute demande effectivement énoncée comporte un au-delà, en tant qu’elle est un appel, autant de la présence que de l’absence, et qui vient actualiser le rapport du sujet humain au signifiant.
Nous voyons là que la complexité de la demande se comprend dans sa double prise dans deux chaînes signifiantes appartenant à deux sujets différents. Et c’est cette complexité de l’au-delà de la demande que LACAN va nommer le désir, puisque la carte de la clinique nous enseigne qu’aucune satisfaction de la demande ne laisse un sujet en paix. Illustration en est faite par le classique « je te demande de refuser ce que je te donne parce ce que ce n’est pas ça ».
Cet au-delà donc, de la demande qui porte un nom, le désir, même s’il vise à la satisfaction d’un besoin par un objet, ce désir, comme la demande, a lui-même un au-delà, qu’aucune satisfaction et qu’aucun objet ne sauraient satisfaire, par structure, du fait du rapport du désir à cet au-delà qu’est le signifiant, qui d’être signifiant ne peut jamais tout dire, ne peut être que manquant.
Et le désir de la belle bouchère est plus immortalisé par le saumon fumé qui lui manque que par le caviar dont son mari prévenant la contenterait bien, si seulement elle voulait.
Alors, comment pourrions nous déplier les étagements du désir de la belle bouchère ?
1/ d’abord ce qu’elle demande ? Comme toute demande, la lune, elle lui demande qu’il l’aime.
2/ ensuite ce qu’elle désire, et si elle y condescendait, ce serait que son mari lui offre, chaque après-midi, une tranche de pain recouverte copieusement du caviar qu’elle adore. Il ne demanderait pas mieux son mari d’accéder à son désir, sauf que,
3/ ce qu’elle veut: c’est qu’au delà du caviar, qui est le masque derrière lequel se cache son désir inconscient en tant qu’il touche à son réel, c’est que surtout il n’en fasse rien pour qu’elle puisse encore et encore le taquiner, le disputer, sur ce qu’il lui refuse afin bien sûr, que tout se termine sur l’oreiller, qui leur réussit si bien à l’une et à l’autre.
Une autre conséquence est à tirer concernant le désir: si ce qui est visé par lui est non pas la satisfaction du désir, mais le désir d’être désirant, si en fait le sujet jouit non d’un objet ou de la satisfaction qu’un objet pourrait lui procurer, mais jouit de désirer, nous nous trouvons là en face de ce que le désir puisse être qualifié de pervers structurellement, puisqu’il consiste en une jouissance du désir même, en tant qu’il est nécessairement désir de l’Autre.
Ceci nous explique pourquoi l’exploration analytique du désir que nous menons, et dans chaque cure, nous ramène systématiquement au masochisme: car le sujet s’y saisit là comme souffrant, souffrant d’être sujet du désir. C’est le côté tout à fait fou, irréductible, structurellement du désir humain du fait qu’il ne satisfait pas un désir, mais que le sujet jouit, de désirer. C’est, nous dit LACAN, une dimension essentielle de la jouissance.
C’est cette composante du désir que LACAN va qualifier d’être les masques du désir. Masques derrière lesquels vont se cacher le fait qu’au delà des objets qui semblent être désirés par le sujet, c’est la situation même de désirant, qui tente de se cacher au sujet.
Car nous devons nous souvenir en ce point que l’objet privilégié désiré par le sujet est celui que la loi du père a interdit au sujet: la mère.
C’est l’interdiction de cet objet désirable que la loi de l’inceste a prohibé qui masque, nous dit LACAN, le lien profond, étroit, entre la mort et l’apparition du signifiant pour un sujet, que cette mort soit celle mythique du meurtre du père de la horde primitive, ou celle de Moïse introduisant le monothéisme.
La fonction du signifiant, est là voilée, dit LACAN, pour permettre au sujet d’oublier, de refouler le lien entre le signifiant et la mort, et de transformer cette mort inassumable, en des « morts », voire des « petites morts » avec lesquelles le sujet peut toujours différer.
C’est l’autre face du désir: son attachement au signifiant et plus généralement au signifiant phallique, et la dépendance du désir à l’Autre et au désir de l’Autre.
Quel rôle LACAN donne t’il précisément au signifiant phallique ? Il le fait intervenir dans la troisième formule qu’il donne concernant le désir. Si le temps de la demande était caractérisé par lui comme étant celui où le sujet tenait un discours commun, un discours courant où l’Autre y est le lieu du code, c’est seulement dans ce temps troisième, qu’il instaure pour un sujet la possibilité d’être divisé par le signifiant et ce, par l’intervention de la fonction du signifiant phallique.
Je vous avais promis de revenir sur cette fonction difficile du signifiant phallique
Voyons donc comment il l’amène:
Le phallus, dit-il, introduit dans l’Autre, dans le lieu du code, quelque chose de nouveau et qu’il nomme l’effet du signifiant, et que LACAN explicite ainsi: nous posons que le phallus est ce signifiant par lequel est introduit dans le grand Autre en tant que lieu de la parole, le rapport à l’autre en tant que petit autre, par où ce rapport est introduit et en tant que le signifiant y est pour quelque chose (leçon du 26 mars 1958).
Nous sommes en 58 ne l’oublions pas, l’année où LACAN a publié son fameux article sur « la signification du phallus » qui pose le champ du symbolique comme déterminant tout parlêtre dans sa subordination au signifiant. Tout comme sera déterminant pour tout parlêtre le rapport qu’il entretient au phallus et par là-même à l’Autre sexe.
C’est donc dans le temps de ce séminaire qu’il va également radicaliser sa conception du désir de l’homme par sa formule « il n’y a pas de rapport sexuel » soutenant que homme ou femme, notre relation intime ne se fait pas à l’objet qu’est l’autre sexe, mais se soutient pour l’un et l’autre du rapport que chacun entretient avec le phallus.
C’est le phallus qui opère structuralement l’hétérogénéité du champ de l’Autre, symbolique, du champ du petit autre, mon semblable, champ qui relève lui de l’imaginaire.
Il va même plus loin LACAN puisqu’il ajoute: « ..de même que nous avons défini le signifiant paternel comme le signifiant, qui dans le lieu de l’Autre, autorise le jeu des signifiants, il y a cet autre signifiant privilégié, le phallus qui est le signifiant qui a pour but d’instituer dans l’Autre, ceci qui le change de nature…C’est pour cela qu’ici il est barré cet A, à savoir qu’il n’est pas purement et simplement le lieu de la parole, mais qu’il est impliqué, comme le sujet, dans la dialectique à l’endroit du petit autre, pour autant que c’est le signifiant qui l’inscrit ». Leçon du 26 mars 1958.
Ceci peut nous paraître aujourd’hui étonnant que LACAN ait nécessité deux opérateurs logiques.
– Celui du Nom du Père pour donner consistance au lieu de l’Autre, comme lieu du code
– Celui du Phallus, pour que cet Autre puisse être barré, la barre venant frapper l’Autre, venant frapper le sujet du même coup et lui permettant d’accéder à cette position achevée du désir. Mais n’oublions pas que dans cette leçon du 26 mars 58, LACAN, n’a pas encore radicalisé les fonctions de l’énoncé et de l’énonciation – il le fera l’année suivante – et que d’autre part, cette façon de dire les choses convient parfaitement me semble t-il, pour clarifier cet au-delà de la demande qu’il vient de mettre en place, sous le terme de désir, et qui nécessite, au sens logique de ce terme une mise en place de la division subjective: S soit le sujet pris dans son rapport à la loi, à la castration et tombant sous le coup du refoulement originaire.
En effet, souvenons-nous que dans la dialectique de la demande, coexistaient deux chaînes signifiantes, celle du sujet, celle de l’Autre en tant qu’à cette demande il peut y répondre ou pas. N’est-ce pas ce temps, qui pose à la fois pour le sujet qui demande, et la possibilité d’un lieu Autre, lieu du code et l’existence d’un autre réel, qui devient là un petit autre pour le sujet; nous voyons que si là, le sujet demande, l’Autre réel n’en demande pas moins, mais ce, au regard de cet élément tiers, le Phallus, qui organise pour lui et son éventuelle réponse et sa position face au désir, qui la cause, au-delà de la réponse qu’il donne ou pas.
N’est-ce pas en ce temps de la demande que peut se mettre en place l’intentionnalité du sujet aussi bien que celle de l’autre réel ?
De plus, ce que ce troisième temps logique vient ajouter, c’est la nécessité d’introduire les signifiants inconscients qui pour chaque sujet organisent
– et la chaîne signifiante de leur demande (le plus souvent toujours la même)
– et celle de tout désir d’être désirant au-delà de l’objet de leur demande.
J’avancerais, en guise de conclusion, que dans l’écriture de ces trois formules, tout se passe comme si pour LACAN, s’était imposée à lui la nécessité de rendre compte sur un mode logique et en s’appuyant sur la clinique, de la conception du signifiant qui était devenue la sienne, en opposition à celle du schéma saussurien par exemple.
C’est comme si pour lui, et dans ce séminaire, la prise du sujet dans le signifiant se faisait en deux temps très distincts:
1/ celui où le sujet est pris dans les signifiants du discours commun, le langage, et il semble qu’en ce point LACAN ait introduit la nécessité du capitonnage du lieu du code par le signifiant du Nom du Père.
2/ Celui où le sujet accède, par un second capitonnage, celui qu’opère pour lui le Phallus, accède donc à une chaîne signifiante d’une autre nature, comme il le dit lui-même, c’est-à-dire d’une chaîne signifiante où le signifiant pourrait venir faire défaut, pourrait venir à manquer. Ce qu’il conceptualise par cette barre dont il frappe le lieu de l’Autre, qui de lieu de code devient le lieu du signifiant du manque dans l’Autre. S(A)
C’est cette conception du signifiant qui a permis à LACAN de donner une première définition consistante de ce qu’est un sujet pour la psychanalyse, soit ce signifiant, inconscient, qui le représente auprès d’un autre signifiant.
Car si HEINE était bien ce jeune poète délicat à la plume fort agile il n’en restera pas moins un prétendant assez « famillionnaire », mais devant être éconduit parce qu’il ne pouvait subvenir aux besoins matériels de sa cousine dont il était éperdument amoureux mais qu’il ne put épouser.
Cette prise du sujet dans ces deux types de chaînes signifiantes, l’une dont il caractérise la demande, l’autre qui permet qu’un désir puisse venir s’y articuler, prépare la conceptualisation des deux chaînes signifiantes qu’il appellera dans le séminaire « le désir et son interprétation », chaîne de l’énoncé, chaîne de l’énonciation.
Une fois acquises, ces appellations sur lesquelles il ne reviendra plus, masqueront en partie, me semble t-il, toute l’élaboration théorique qui lui aura été nécessaire durant l’année du séminaire « les formations de l’inconscient » pour pouvoir rendre compte d’une part,
– de la prise du sujet dans le signifiant mais dans un signifiant redéfini par lui d’une façon homogène avec ce que la clinique psychanalytique lui enseignait, et d’autre part,
– de la division subjective comme interne au sujet et illustrée par les étagements du graphe chargés eux de représenter les différentes étapes concourantes pour qu’un sujet puisse, du fait qu’il parle et qu’il s’y risque, recevoir en retour, la frappe de la barre qui, le divisera, comme tout signifiant pour qu’il advienne « soll ich verden » nécessairement manquant.
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